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7 janvier 2012 6 07 /01 /janvier /2012 14:38

Les Trois Roses

 


Ce matin, dans ce cimetière si jolie, surtout en été, la famille Valentin va enterrer le vieil oncle Archibald. Un homme d'une redoutable gentillesse, d'une grande naïveté, un homme d'une grande fortune mais qui va partir pour l'Autre monde avec si peu. Archibald Valentin n'avait pas la fibre ni du commerce, ni la vertu de la radinerie modeste, voir un de ses neveux ou une de ses tantes dans le dénouement lui était si insupportable, qu'il avait l'ouverture de son portefeuille assez facilement.
Le clan Valentin est connu dans la région pour être de véritables requins entre eux, au sein de cette famille, tuer était un sport national. Alors imaginez-vous ce pauvre Archibald au milieu de tout cela, heureusement pour lui qu'il avait cette fibre de naïveté sinon, son esprit lui aurait ordonné de passer l'arme à gauche sur le champ. D'ailleurs, ce matin, étrangement beaucoup de membres de la famille vont assister à son dernier départ. Chacun veut être témoin de ce moment où ce monsieur un peu curieux va embrasser les plantes par la racine.
La petite ville va aussi être présente, mais pas pour les mêmes raisons. Il faut bien avouer que l'oncle Archibald était fort bien apprécié au sein de la communauté. Tous les gamins aimaient sa bonne humeur, et sa célèbre distribution de bombons après la messe était fort populaire. Ses contributions à la ville étaient très connues, mais, je vous rassure, le clan veillait à ce que la majorité de cet argent aille dans leurs poches plutôt que dans la restauration d'une école ou d'une église. Et pour ceci, la municipalité a demandé à tout le monde, du mendiant au gendarme, de venir assister à l'enterrement. Décision qui ne dérangea pas le clan car elle flatte son ego et sa publicité.
Ce matin, donc, tout le monde se prépare. Le corps du défunt, mort à l'âge de 78 ans d'une crise cardiaque, est veillée par la famille dans leur maison de la rue du Bac. La salle principale, qui sert de temps à autre de réception, devient la chapelle ardente; un cercueil a pris place au centre, encadré par quatre hautes bougies, et de part et d'autre, les Valentin sont debout, vêtus de noirs, et se regardant avec haine et méfiance. Lorsque le curé vient pour présider pour voir si tout se passe, il n'est guère étonné de l'ambiance horrible qui règne en ces lieux. Le testament de l'oncle n'a pas encore été ouvert, et tous les requins savent que le bonhomme a encore quelques lingots qui traînent dans la maison. Qui va en hériter ? Peut-être les pires membres du clan, Léon, Henriette et Auguste. Les frères et sœur du défunt ont tout fait pour le démolir, voler son argent, le mêler dans des escroqueries et piller son patrimoine sans scrupules et sans moralité.
Léon et Auguste, de vieux garçons, vivent ensemble dans une belle maison, principalement achetée en volant leur frère. Ils se sont réveillés avec une légère bonne humeur, car d'une part, ils vont envoyer leur idiot de frère sous la pierre tombale, et de l'autre, ils vont toucher le restant de l'héritage. Cependant, il y a un arrière goût amer qui les gêne, quelque chose qu'ils ne peuvent pas vraiment définir. Lors de leur petit-déjeuner, pris dans leur si beau salon décoré à la monde rococo, ils se font face à face, installé de part et d'autre de la table en marbre rose. Pas besoin de s'exprimer plus car ils devinent mutuellement ce même arrière goût si gênant. Leur valet, un homme qui a travaillé pour les pires bourgeois et nobles de la région, leur apporte le repas en se faisant copieusement insulté dans le but certain d'éloigner ce terrible sentiment. Même la nourriture a de curieuses saveurs, comme si elle est en train de pourrir de l'intérieur. En résumé, nos deux compères ont la conviction que cette journée sera mauvaise. L'heure tourne et le rendez-vous à l'église arrive. Et au moment où ils quittent la place, leur valet marche vers eux en portant deux belles roses blanches. Surpris par ces objets, les frères Valentin demandent des explications avec insistance et agressivité. Que signifie ceci ? Pour quelle raison leur valet apporte ces deux roses ? Léon, qui s'est toujours montré le plus impatients des deux, arrache la rose des mains du valet, accompagné d'un petit mot. "A déposer sur la tombe d'Archibald". Pas de signature, rien qui puisse laisser deviner l'identité de l'auteur du mot. Auguste pouffe de rire, selon lui, c'est leur sœur qui fait une blague, ce n'est pas la première fois qu'elle s'exerce à ce type d'activité. Et ce serait bien son caractère de faire cette plaisanterie le jour de l'enterrement. Mais Léon n'est pas aussi certain, il flaire l'embrouille. De toute manière, il serait bien stupide d'aller déposer cette rose sur la tombe de leur frère, et d'un geste rapide et sec, les deux gaillards jettent leur rose respective par terre en prenant soin de les écrabouiller de leur talon et de leur canne. Le valet ne tente même pas de les en empêcher, il sait que ce sera inutile.
Une fois leurs beaux costumes enfilés, précaution prise non en hommage à Archibald mais dans l'intention certain de faire le coq devant tout le clan, ils prennent la direction de l'église se trouvant à moins de dix minutes à pieds.
Ils sont rejoints par leur sœur Henriette. Elle aussi semble bien contrariée. Vêtue tout de noir, elle porte un chapeau qui couvre la moitié de son visage ridée par le temps et par la méchanceté. Mais son sourire n'est pas là, ses lèvres laissent penser que cette femme vient de subir une chose horrible, ou bien, une violente contrariété. Henriette, qui n'a pas l'habitude de se taire, évoque avec ses deux frères, une étrange découverte devant sa maison. Une rose.
Les deux hommes se regardent immédiatement, ainsi ils ne furent pas les seuls à recevoir ce curieux cadeaux. Une rose. Mais pourquoi ? Est-ce un ami du défunt qui veut laisser un message à ceux qu'ils jugent responsables de sa mort ? Quoi qu'il en soit, Léon et Auguste se sont débarrassés de leur rose sans regret, ce qu'ils veulent, c'est le reste de l'héritage point final. Ce n'est pas de l'avis d'Henriette. Bien plus superstitieuse et sensible que ses deux frères, elle a préférer garder la rose et pour preuve, elle la montre sans hésiter. Etrange idée que voilà, se dirent les frères Valentin. Bref, ils entrent les derniers dans l'église, afin que tout le monde puisse les voir.
La cérémonie n'a rien de bien mémorable, en vérité, pour un homme au cœur d'or comme celui du défunt, une âme normale aurait pu légitimement penser que la famille eut le respect que l'on doit aux morts. Que nenni, même si la présence de ces anonymes venus rendre un dernier hommage a quelque chose de réconfortant, la famille fait tout pour transformer cet enterrement en une cérémonie sans relief. Le maire de la ville, qui aime garder les choses pour lui, se dit, en assistant à cela, que les Valentin sont vraiment les derniers des profiteurs. Un mot qui prend tout son sens quand le maire observe Léon profitant d'un siège pour somnoler alors que le prêtre tente avec désespoir d'intéresser la famille par son hommage. Les officiels, en particulier le maire, avaient hâte que cette cérémonie se termine tant l'attitude de la famille proche leur faisait horreur.
Au cimetière, la procession est assez longue. Le corps est mis en terre dans le caveau de la famille où chaque Valentin finira. Les trois compères font parti de ceux qui accompagnent le corps jusqu'à l'intérieur du caveau. A l'intérieur, dans ce froid et cette obscurité malsaine, Léon et Auguste regardent en souriant les plaques des défunts. Chacun a son petit souvenir sur telle ou telle personne. Ils ne font même pas attention sur le cercueil d' Archibald que l'on met dans le trou réservé. Mais juste d'apposer la plaque, Henriette, au grand étonnement de tous, mais la rose sur le cercueil avec un léger "pardon" à peine audible. Une fois la cérémonie terminée, tout le monde reprend la route de chez soi. Personne n'à songé à organiser un petit repas après.
Henriette, de retour chez elle, ne parle pas à ses deux servantes. Elle prend directement le chemin qui la mène à sa chambre et décide de s'y cloîtrer comme si elle était malade. Pas un mot ne sort de sa bouche, pas une expression de visage ne permet de savoir ce qu'il se passe dans sa tête. Pour ses deux servantes, c'est une grande première, jamais elles ne virent leur maîtresse dans cette attitude. Que s'est-il passé ? Inquiètes, elles décident d'aller prévenir Léon et Auguste.
Quelle surprise lorsqu'ils apprennent la nouvelle. Ils songent, immédiatement, à rendre visite à leur petite sœur. Bien que la maison soit à quelques mètres, ils exigent que leur valet les conduise avec leur voiture fort bruyante et fort polluante. Parvenus à l'entrée de la chambre, Léon se montre le plus pressé.
Eh bien, petite sœur ! A quoi joues-tu ? Nous allons entrer et te faire sortir de ton lit !
Tout à fait, renchéri Auguste.
Ils n'attendent pas pour mettre leur menace à exécution. Ils entrent dans la chambre et virent Henriette allongée dans le lit, regardant dans le vide. Léon et Auguste marchent, avec difficulté liée à leur âge, vers elle et s'installent de chaque côté du lit. Que signifie ceci ? Pourquoi est-elle ainsi ? A t-elle été émue par l'enterrement de ce naïf d'Archibald ? Henriette finit par parler. Entre deux larmes, elle explique que quelque chose de terrible va arriver, qu'elle s'est mal comportée avec Archibald, que la famille est damnée pour l'éternité. Suite à ses propos, les deux frères éclatent de rire. Cet enterrement a vraiment chamboulé sa tête, il faut vraiment faire quelque chose.
Léon et Auguste, qui n'ont pas de temps à perdre, sortent de la maison de leur sœur avec un sentiment étrange. Ils doivent trouver une solution pour retrouver leur petite-sœur aussi vite. De retour chez eux, alors que le soleil est sur le point de se coucher, ils vont au lit dans l'espoir que la nuit porte conseil. Par ailleurs, le rendez-vous avec le notaire aura lieu en fin de semaine, ils ont tout intérêt à être en forme, surtout Henriette.
Quelques jours plus tard, c'est avec grande surprise que les deux frères constatent qu'Henriette refuse de venir au rendez-vous avec le notaire. Pour la punir, les deux compères insistent auprès du notaire pour que sa part leur revienne. Ce qu'il accepte volontiers, n'appréciant pas les Valentin, ce notable est bien heureux d'y mettre une petite pagaille dans ce clan. Et pour mieux se moquer d'elle, ils se présentent chez elle juste après leur rendez-vous. Et c'est avec un malin plaisir qu'ils se mettent à gueuler: "C'est nous qui avons le reste de l'argent ma Henriette ! C'est nous !". Laissant éclater leur joie, malgré leurs problèmes de hanches, ils se mettent à danser comme des gamins. A sa fenêtre, la brave Henriette sourit légèrement, elle sait ce qui va se passer, et par plaisir sadique, elle n'a aucunement l'envie de prévenir ses deux frères. 
La nuit tombe sur le village, une nuit étrange et remplie d'une atmosphère qui donnerait envi au plus courageux des hommes à rester au fond de son lit. La lune n'est pas là ce soir, et un léger vent frais se propage un peu partout, poussant quelques feuilles mortes et les arbres à effectuer une danse macabre. Au cimetière, les hommes et les femmes qui ne sont plus de ce monde, se fichent bien du temps qui fait, ni du jour, ni de la nuit d'ailleurs. Au fond de leur trou, à six pieds sous terre, ils rêvent de leur vie, et pensent qu'ils ont raté bien des occasions de mener une existence meilleure. D'autres, au contraire, qui rêvent de vengeance, aimeraient bien revenir et subir aux vivants ce qu'ils méritent. C'est le cas d'Archibald.
Au fond de son caveau, des coups sont donnés contre la plaque qui cède assez vite. Un homme dont l'aspect est fortement repoussant apparaît. La peau est en train de pourrir, les yeux sont vides de vie, la démarche est repoussante, la terrible maladie dont souffrait Archibald a rapidement provoqué la pourriture du corps. Ce mort-vivant se déplace avec difficulté vers les marches, mais un oreille averti pourra affirmer que ce monstre est bel et bien en train de rire. Une fois sorti du caveau, le mort-vivant traverse le cimetière…
Cette nuit, les frères Valentin ont du mal à dormir. Et pour passer le temps, ils se décident à une partie de cartes à côté de la cheminée. A cause de l'heure tardive, leur serviteur n'est pas là, ils devront se débrouiller tout seul. Dehors, le vent devient de plus en plus violent et Léon se met à avoir peur.
Ma foi, mon chère frère, il se peut que nous aillons une tempête ce soir.
Tu te fais des idées, et essaye de jouer correctement, sinon, je t'envoie préparer un nouveau whisky.
Léon se met à grogner. Cette nuit est particulière, il le sent. Durant la matinée de cette journée, ils durent aller chez leur banquier afin de régler les derniers détails de la succession. Cette journée avait si bien commencé, mais ce soir…
Auguste aussi est de mauvaise humeur, il se lève d'un bond et dit qu'il va faire un tour à la cuisine pour se préparer un whisky de bien belle qualité. Puis, dit-il, ils joueront encore une heure avant de tenter de séduire Orphée. Il laisse son frère seul. Léon ne veut rien boire, rien manger, il a tout simplement peur. Le temps dehors n'a rien de rassurant, rien qui puisse porter une quelconque joie dans son cœur. La pièce est faiblement éclairée, la petite table, où se trouve les cartes, tremble légèrement. Où bien est-ce ses jambes qui tremblent ? Que se passe t-il ? Léon sort de table et s'assied en face de la cheminée afin de trouver, s'il le peut, de la chaleur réconfortante. Au moment de mettre ses mains tendus vers le feu nourri, il constate qu'une étrange présence marche non loin de lui. La fenêtre s'ouvre grand, le vent s'engouffre dans la pièce et le feu s'éteint immédiatement. Pour Léon, la fin est proche. Sa peur le pousse à se lever et à tenter de se cacher, marchant à quatre pattes vers la porte de sortie, ne voulant aucunement savoir ce qui se passe derrière lui. Son faible cœur bat de plus en plus fort, il frôle la crise cardiaque mais il ne mourra pas de cela… Sa marche est brutalement interrompue par une paire de jambes enfilée dans un pantalon en fort mauvaise état.
Pitié, se met-il à répéter.
Et la seule chose qu'il puisse entendre de la part de ce monstre au visage à peine reconnaissable est: "Ma rose… Ma rose…". Léon n'a plus aucun doute à ce sujet, ce cadavre qui vient lui rendre visite est bien celui d'Archibald. Le vieil homme a à peine le temps de pousser un cri que le mort-vivant en profite pour se saisir de la tête de Léon et lui arrache une partie de la mâchoire.
Auguste, qui n'a rien entendu à cause du vent violent, revient dans le salon avec son verre de whisky. Il y règne un noir total et la fenêtre est toujours ouverte. Auguste est pris par la peur, comprend qu'une chose grave vient de se produire et appelle son frère à maintes reprises. A ce moment précis, quelques bougies s'allument toutes seules. Les larmes aux yeux, il croit voir un objet dans la cheminée et marche lentement vers cette chose qui semble être posée sur le brasier. Et au moment où il s'en approche, son sang ne fait qu'un tour. Jamais, au cours de toute sa vie, une vision si terrifiante ne se présenta pas à ses yeux. Il voit avec horreur la tête de son frère sans sa mâchoire. Auguste hurle de toute ses forces et ne prenant pas garde de la silhouette qui se trouve derrière lui, il se met à pleurer. Une main horriblement froide se saisit de sa nuque et plonge sa tête dans le brasier de la cheminée jusqu'à ce que mort s'en suive.
Le lendemain matin, l'une des servantes d'Henriette ouvre la porte, s'attendant à y trouver le journal, elle se met à hurler. Deux têtes sont posées devant elle, l'une sans mâchoire avec une rose plantée dans l'œil droit et l'autre presque brûlée avec une rose plantée dans l'œil gauche.



Fin - écrit et imaginé par Alexandre Bensi - tous droits réservés

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