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10 avril 2012 2 10 /04 /avril /2012 10:06

 

 

LA DERNIERE ŒUVRE

Ecrit par Alexandre Bensi

 

 

 

 

Cherche, cherche, mais surtout ne trouve jamais,

car lorsque tu trouveras... Tu seras déjà mort.

 

 

 

Cette étrange histoire, qui est pourtant vraie, n'invite pas les âmes sensibles à poursuivre la narration. Chaque artiste, dans son délire, est à la recherche de ce que nous appelons "La dernière œuvre". Celle qui sera bien plus qu'un testament. Le texte qui puisse pénétrer dans le plus profond de l'âme de l'auteur. C'est devant ce défi qu'un écrivain que nous appellerons K.C. a décidé de donner sa vie. Et le mot n'est pas exagéré, nullement.

Un soir, triste à mourir pour le passant qui s'amuse à traverser la rue où loge l'écrivain K.C., munit d'un stylo et d'une rame de papier blanc, notre auteur se lance dans l'aventure, avec un sentiment mélangé de peur, de curiosité et de tristesse, car il sait que ce sera sa dernière œuvre, son ultime.

Comment s'y prendre pour livrer ce que l'écrivain a de plus intime ? Toute la journée, enfuit au fond de son lit, couvert par deux larges couvertures et d'une robe de chambre rembourrée - alors que nous sommes en plein printemps - K.C. cherche. Il n'est pas question de prendre une quelconque drogue, ni de s'enfiler des bouteilles d'alcool pour se mettre dans un état qui laisserait son cerveau dans des dérives inutiles et mensongères. Alors quoi ? Quelle est la solution ?

Comme toujours, la solution la plus évidente est celle qui met le plus de temps à apparaître. Et ce pour plusieurs raisons, tout d'abord parce que cette raison est dérangeante, ensuite, parce que notre esprit croit, à tout moment, qu'une meilleure solution s'offre toujours. C'est pour cela que K.C. prend toujours autant de temps pour trouver la solution. Finalement, elle apparaît claire, nette et précise. Il van non pas mettre sa vie en jeu, non, il va, tout simplement, la retirer du jeu. Comme s'il n'avait jamais existé.

L'esprit, pris de panique, a la capacité de trouver des ressources extraordinaires. Il dévoile ce que nous avons de plus intime et de plus caché sans pudeur et sans peur. Par conséquent, K.C. écrira ce que son âme veut, en oubliant les barrières de son éducation, il livrera sa dernière œuvre, son œuvre ultime. La plus pure.

Il choisit, de cette façon, de se planter un coup de couteau dans le ventre de telle manière à ce que sa vie puisse partir progressivement. Il ne faut absolument pas que ce soit un coup fatal, sinon l'expérience n'aura aucun intérêt. Jugeant qu'il n'a pas autre chose à faire, que son planning pour les cinquante prochaines années est vide, le bon moment est arrivé. Sans estimer qu'il commet une erreur, K.C. est confiant. Il est certain de son bon droit comme il ne met pas en doute le dernier texte qu'il écrira ce soir là. Mais parce qu'il pense à ceux qui le découvriront après avoir écrit son texte, certainement tout de suite après, K.C. range l'appartement et le nettoie de fond en comble. Activité qui ne lui prend pas plus de deux heures car l'espace est assez restreint. Curieusement, il siffle des airs charmants, parfois même, il chante des chansons grivoises. En guise de dernier repas, qu'il ne prend pas pour le repas du condamné à mort car ce serait une comparaison stupide à ses yeux, mais pour un simple repas: il se contente de corn-flakes, par simple provocation envers lui-même. Tout en écoutant la radio, il mange de bon appétit et rêve, déjà, des mots qui seront bientôt alignés. Oui, il est profondément, satisfait de son idée. Personne ne l'a fait avant lui, personne ne le fera après lui.

Il s'installe son bureau de son éternel robe de chambre, il est sur le point de commencer l'expérience. Dehors, la nuit est chaude, les lumières de la ville voilent les étoiles qui couvrent habituellement la nuit. Tant pis, il les imaginera, c'est tellement mieux quand on imagine. Prenant place, face à sa pile de papier, de son stylo et de son couteau, le match peut débuter. Pour mourir, K.C. porte son dévolu sur un petit couteau qui sert à ouvrir les lettres. Le symbole est beau, c'est une larme servant à ouvrir les mots qui va lui permettre "d'ouvrir son ventre. La question, pourtant, lui vient à l'esprit: est-ce la bonne solution de planter dans le ventre ? Pourquoi ne pas s'ouvrir les veines ? Seulement cette suggestion est idiote. Le sang qui va gicler, ira inonder les feuilles et K.C. ne pourra plus écrire. Or, il doit réussir un texto qui a un début, un milieu et une fin. C'est primordial. Après un petit débat intérieur, K.C. décide de porter le coup dans le bas ventre. Le temps que le sang coule, que la douleur prenne, il pourra poser sur papier ce que son âme voudra. Que l'expérience commence !

Tenant fermement le couteau à lettre dans sa main droite, ne tremblant pas, peut-être parce qu'il a imaginé plus d'une fois cette situation, il plonge d'un geste sec et sans hésitation la lame dans son bas-ventre. La douleur est vive, mais tout à fait supportable par la suite. Déjà, le matin même, il imagina une trame, celle d'un jeune homme qui se trouverait dans un cauchemar et en voulant en sortir, il trouverait la mort. Le voyage entame sa première étape.

Les premières phrases viennent, de temps à autre, il jette un œil sur cette plaie où le sang prend le fuite. Il ne doit plus y penser, seul compte le texte. La douleur la pousse à se plier légèrement, sa tête se penche vers le papier. La main droite a des tremblements, mais la volonté est présente. Son expérience sera une réussite, il en est certain. Alors comment débuter l'histoire ? K.C. estime que la première partie de sa nouvelle - il sait qu'il n'aura pas le temps d'écrire un esquisse de roman - doit directement plonger dans le cauchemar.

Cauchemar qui est le sien. Il le veut ainsi, celui qui raconte ses pires rêves, c'est l'acteur lui-même. Pas besoin de le préciser, tout le monde s'en doutera. Durant le peu d'années qu'il consacra à raconter des histoires, K.C. apprit à faire confiance aux lecteurs et à ne pas tout raconter. Afin de faciliter la poursuite de l'histoire, et pour que le lecteur se fasse une meilleure idée des sentiments qui traversent l'esprit du mourrant, nous allons alterner les passages du texte avec des descriptions de ce que ressent l'auteur.

C'est de le main tremblante et la rage au cœur qu'il écrit:

"Vagues noires dans le ciel noir. Le vent n'a plus de limite, il me poursuit et cherche à me dévorer. Pour la première fois de ma triste vie, je me rends compte que le vent à une mauvaise haleine. Il sent la mort et l'envi de tout lâcher".

L'odeur de la mort ? Oui, il a écrit cela. En révélant rapidement les premières phrases, son sourire apparaît aux lèvres. De l'odeur, il passera bientôt au physique. Il touchera la Mort comme on caresse les tranches d'une femme.

"Je cours à travers champ, vers cette forêt sombre où les arbres, dont les filles sont rouges de sang, dansent de manière langoureuses, elles m'appellent, elles cherchent un moment de plaisir avec moi. Eh bien, j'y vais, je ne prends pas le temps de réfléchir. Réfléchir, c'est pour ceux qui veulent vivre, moi, je n'en ai plus besoin. A l'époque des romains qui, avant un suicide, passait la soirée la plus orgiaque de leur vie, je veux connaître le plaisir de la vie avant de rencontrer celui de la mort".

La main trouble de plus en plus. K.C. s'arrête, le sang coule. Mais il n'y pense déjà plus. Ce n'est pas son problème, pour lui, toute son intention se porte sur le texte, il doit le finir.

"La forêt s'offre à moi comme une femme désirable. Plongée dans la nuit, cherchant à me séduire, je plonge de toute mon âme. Je ne vois plus rien, je sens les branchages me fouetter le visage, mais je n'en ai cure. A quoi sert un visage quand on est mort ? Par un profond désir de connaître le cœur de la forêt, je m'enfonce sans hésiter. Je ne sais pas sur quoi je marche… Je ne sais pas où je vais".

Le vent me poursuit toujours. Les arbres ne l'arrêtent pas, fourbes comme ils sont, ils laissent passer le sombre vent. Moi, je marche, moi, je cours".

Un étrange sentiment s'empare de K.C. La douleur de la plaie n'est pas au centre de ses préoccupations. Ses yeux se portent vers ce sang qui sort. Une tâche chaude et grandissante se forme, c'est bon signe.

Pour l'histoire, qui se déroule sous ses yeux, il est temps de passer à la vitesse supérieur. Passons à la deuxième étape, allons plus loin dans le délire, avant que la Mort s'empare de l'âme de l'écrivain, avant qu'il ne soit trop tard.

Malgré une main tremblante, les mots parviennent à se former, il sait que son texte est visible, les futurs lecteurs n'auront aucun mal à le déchiffrer. Continuons l'histoire…

"Je débouche dans une clairière. Elle est étrangement éclairée car il n'y a aucun élément justifiant une lumière. Peu importe, c'est un rêve et c'est tout à fait excusable. Vous connaissez, vous, des arbres qui dansent et qui chantent ?

La clairière est belle, l'herbe est fraîche. Elle donnerait presque l'envie de s'allonger au sol, goûtant la caresse des brindilles sur ce corps mourant. K.C. le fait avec plaisir. Le sourire devi ent vraiment sincère, s'il le pouvait, il resterait là et plonger ses yeux dans le ciel, entouré par ces arbres menaçants qu'il ne craint pas. Cependant, quelque chose ne va pas".

                Est-ce que la douleur qui prend l'avantage sur la création ? Non.

"Pourquoi il n'est pas heureux ? Pourquoi ce cauchemar ? Est-il condamné à voyager dans les pires recoins de son âme ? Alors K.C. se lève, tourne autour de lui, les arbres se penchent, couvrent de leurs branches découpées comme des haches et des épées sur lui, formant un toit. La lumière s'estompe mais elle est encore présente. K.C. s'énerve, il veut subitement une réponse à tout ceci. La signification du rêve, ou dans son cas du cauchemar, donnera la signification de son existence. Drôle de paradoxe pour un mourant".

Lutter contre la Mort, c'est lutter pour la Vie. Il s'agit là d'une logique incomparable, parlant au cœur de n'importe quelle personne amenée par la passion de la Vie. Cependant, en ce qui concerne K.C., ce principe est à remettre en doute. Lutter contre la Mort, c'est lutter pour l'Art. Voilà un bon paradoxe et un destin sans aucune comparaison. Tout en continuant la rédaction de sa nouvelle, malgré la douleur, il s'étonne de cet état lorgnant vers celui de l'alcool. Comme s'il venait d'aligner plusieurs verres, il se sent "vivre".

"L'un des arbres, peut-être, le plus monstrueux, le plus vulgaire et la moins bien élevé, se met à pisser de la sève sur moi. Je ne peux sortir de cette insulte que par une provocation. Un doigt d'honneur à ce salaud d'arbre qui se croit plus main que les autres en me traitant ainsi. Ce rire, que je crois sincère, vexe profondément ce connard qui me donne une gifle forte. Si forte, d'ailleurs, que je tombe à la renverse et je manque de me noyer dans les herbes hautes, devenues rouges comme le sang".

Le sang, rouge comme le sang qui coule de sa blessure et qui forme une tâche comparable au continent africain sur son T-shirt bleu nuit. Malgré ce sentiment désagréable qu'une partie de la vie qui s'en va, K.C. continue son périple. Il visualise tellement bien son cauchemar qu'il a l'impression de le vivre. Non, ce n'est pas une impression, les délires de la mort lui prouvent que ce n'est pas une impression. Ce qu'il écrit, donc, ce qu'il voit, c'est la réalité. Son cerveau malade le conçoit ainsi. Sans aucun doute. Continuons.

"Le courage me reprit, bien que mon âme veut, que dis-je, m'exige de rester cloué sur place, à attendre sans broncher que les hautes herbes me bouffent. Non, je veux connaître ce qui se cache derrière moi, derrière ces arbres à l'haleine fétides, au regard belliqueux, aux propos infamants et à la rancune fort développée.

Les jambes lourdes, presque engourdies, je me plonge dans le noir, ne sachant pas ce qui se passera, ne connaissant plus aucune peur, ni aucune crainte. Au bout de quelques minutes, certainement une éternité pour celui qui est en train de succomber, les arbres de la sombre forêt m'ouvrirent un passage. Cette soudaine gentillesse n'en était pas vraiment une. Tout en marchant avec cette douleur au ventre, douleur que je ne connaissais pas, je traverse ce chemin en affrontant de part et d'autre, des paroles vexatoires dont certaines, parce qu'elles sont vraies, me poussent à la colère, celle du désespéré qui refuse d'admettre la vérité en face. Les mots fusent comme des tirs de mitraillettes, causant autant de souffrances que de véritables balles. Elles sont pires même, car contrairement aux balles qui laissent des blessures visibles, ces mots font un mal invisible et particulièrement difficile à cicatriser. Plonger en soi, ce n'est pas faire un voyage vers la vie, mais vers la Mort. J'en suis certain. Parmi les nombreuses insultes que j'entends: " Lâche, peureux, égoïste, connard, menteur, vantard, enfoiré, petite merde" et plus important que tout: "Aucune femme ne t'aimera"'. Pris sur le vif, mon esprit avait l'impression d'avoir été piqué par un frelon. Je m'arrête, je me tourne dans la direction d'où est partie cette phrase et je hurle: "Va te faire foutre fils de pute !". Argument sonnant creux, pitoyable même en y réfléchissant bien, mais également un beau défaut, le dire de manière pauvre et sans logique".

Première grande douleur, vive celle-ci. Pour la première fois, K.C. se demande s'il va pouvoir terminer son travail. Pourtant, il le faut. Sinon, à quoi aurait servi cette ultime expérience si elle n'était pas mené jusqu'au bout ? K.C. aurait, non seulement, raté sa vie, ce qui est une chose commune avec de nombreuses de personnes, mais également raté sa mort, privilège des vrais perdants. Sa langue commence à picoter. Il a cette impression de subir une grande fièvre, celle des délires qui vous poussent jusqu'à 42°. C'est un sentiment trompeur, il vous fait croire que vous êtes si bien que l'imagination et l'inspiration vont se porter sur eux, tout seul. Alors qu'en réalité, il s'agit du dernier feu de la vie. Et que ce feu n'est rien d'autre que votre chant du cygne.

"L'arbre qui m'a insulté, rit de beau cœur. Oui, j'admets que cette contre-attaque est fort mince, se réfugiant facilement au niveau des collégiens ne maîtrisant pas l'esprit d'escaliers. Mais je n'avais que cela en stock et, curieusement, je me sentais heureux de constater avec quelle colère je criais ces mots. A la réflexion, ce ne sont pas des mots dit au hasard, j'aurais pu dire: " Tu as raison" ou bien, contre-attaquer en me moquant de l'arbre. Non, par cette insulte, j'ai admis, sans le dire, que l'arbre avait déclaré une grande vérité. Peut-être celle qui soumet ma vie subir les cauchemars les plus malsains et les rêves les plus ridicules".

Ridicule, voilà un terme convenant à sa situation. Oh ! C'est l'esprit cynique qui prend, subitement la parole. K.C. ne l'avait pas vu venir celui-là. Il se cache au fond de son âme, jouant, de temps en temps, les fourbes conseillers, puis il se déclare, parce que c'est le cynisme comme le vrai représentant de sa personnalité. Ce moment arrive souvent quand la colère se mélange à l'amertume. Cocktail prodigieux, se dit K.C., car il fait croire à tout le monde sa profonde solidité face aux événements le plus horrible, ponctuant une vie bien misérable.

Le cynisme est, à maintes égards, le refuge des déçus de la vie. C'est la cachette la plus facile à trouver mais la plus difficile à supporter. K.C. le sait, la tristesse le surprend. Le récit doit se poursuivre.

Avant de reprendre la plume, il veut sa langue s'engourdir. De petits picotements, des avertisseurs signifiant de se dépêcher, terminer le récit avant le soleil levant.

"Au loin, en haut de ce chemin, figure une splendide et si belle lumière que seule la plus belle des femmes pourrait rivaliser en grâce et en douceur. Je ne compte pas la regarder tant elle est belle cette lumière".

La lumière de la vie ? serait-ce possible que ce soit la vie qui l'attire ? Nin, impossible. Au beau milieu de ce remue-ménage, de cette chaloupe de désespoir, la destination finale, celle qui enchante les cœurs et enlève toute tristesse aux âmes meurtries, la mort seule se revendique libératrice du monde et des corps. K.C. devra le dire, car sinon, personne ne pourra le comprendre ou du moins, ne pourra prendre la bonne piste menant à sa pensée. Alors, il se calme, le cœur bat de plus en plus vite. La douleur vive, le sang qui commence à s'accumuler, coulant le long de la hanche, puis de la jambe, n'en sont pas la cause. C'est la peur, la bonne vieille peur qui renaît toujours de ces cendres. La peur est plus fort que tout, elle domine notre vie à un point que personne de sage ne pourrait l'imaginer. Les hommes sont fières, orgueilleux, imprudents, tout cela parce que la peur menace de les surprendre et de s'emparer de leur vie. K.C., en bon humain, sans aucun talent véritable, ressent la peur qui, insidieusement, s'approche de lui. Pour se calmer, il veut s'arrêter d'écrire, peut-être mettre de la musique, une mélodie douce et agréable à l'oreille, accompagnant ce brave mourant vers son ultime destin tout en gardant une certaine sévérité qui éloignera toute tentative d'invasion de la maudite peur.

Il se lève avec difficulté, sa main se porte automatiquement sur sa blessure. Le coup porté est profond, finalement, le brave écrivain n'a pas hésité à se lancer dans son dernier défi. Son inconscient le pousse à assumer ce que la peur tente de lui faire douter. Malgré la pâleur de son visage qui prouve que, dans quelques minutes, il peut s'évanouir, K.C. prend un C.D., le met dans son ordinateur et se choisit une belle musique classique pour donner une certaine idée du zen morbide. Son choix se porte, naturellement, sur ce bon vieux Bach. L'allemand le plus talentueux de son époque. Cet aria lui enlève toute trace de crainte, le bonheur s'empare de son cœur rapidement.

Que le récit reprenne.

"Il faut fuir. Ce lieu n'a pas de but précis, si ce n'est offrir à mon âme des images que je ne veux plus voir ni entendre. Alors que je me précipite vers la lumière, si rassurante dans son éclat, voilà qu'un enfoiré me fait un croche-patte, m'envoyant valdinguer dans le décor. Quel décor d'ailleurs ? Je suis seul dans une nuit oppressante, je sens me tomber dessus une étrange pluie. Ce ne sont pas des gouttes d'eaux classique, elles sont salées comme des larmes. Je me sers de mon manteau pour protéger mon crâne, tournant autour de moi même, je me mets à compter à l'envers passant de 100 à 99 ainsi de suite. La créature qui m'a envoyé dans le décor se présente à moi, elle a le visage qui ne ressemble à rien. A dire vrai, hormis cette bouche carrée sentant le vomi, je doute de pouvoir lui donner des précisions quant à son portrait. Elle se met à rire en me voyant compter en tournant sur moi-même. Et c'est en chantant qu'elle me pilonne ce mot: "Seul, seul, seul" puis, elle s'amuse à associer le mot "oublie", le mot "personne", enfin, le mot "rien". Tentant de me déconcentrer dans mon décompte précis, cette saloperie prend forme humaine, son visage devient multiple, toutes les femmes que j'ai aimé reviennent devant moi. Chacune rit, pointe du doigt ma figure triste, et affirme sur un ton amusé: "Seul, seul, seul". Mais, bien que des larmes montent à mes yeux, et que mon décompte continue. Je ne m'inclinerai pas face à la méchanceté, je décide de lui vomir dessus. Mais ce n'est pas du vomi ordinaire, c'est du sang… Je vomis du sang".

Le sang tâche la feuille. K.C. est surpris. Il porte sa main à sa bouche et constate qu'il crache du sang. Curieusement, il n'est pas rouge, ni bleu, ni rien du tout. Il est couleur qu'il n'a jamais vu auparavant. Son esprit tourmenté, pris en pluie tempête, ne saurait lui donner un nom. Il rit de bon cœur en constatant que c'est à la fin de sa vie, misérable dois-je le rappeler, qu'il fait une grande découverte ayant une portée immense, une nouvelle couleur. Peu d'abrutis en auraient fait autant.

Courage et reprend ton travail.

                "Alors que, fier de moi, j'arrive vers la lumière, l'étrange créature me saisit par le cou et m'enfonce son poing dans ma gorge. Seule la douleur d'avoir vomi du sang me provoque un sursaut de panique. La Grande Saloperie me dit, tout en chantant, que mon âme était perdue depuis le début, que mon existence n'était qu'un voile couvrant ma médiocrité. Que ce voile devenait de plus en plus sale à mesure que je prenais conscience de tout ce qui a entaché ma vie. "Seul, hurle t-elle, seul". Oui, j'étais seul face à ma vie qui se détruisait progressivement, seul face aux autres, face à…."

K.C. n'a plus de force, il n'a plus rien. Tendrement, tel un enfant, il s'endort paisiblement dans son sang. Avec le regard de celui qui s'étonne.

Le texte est inachevé, la fin ne sera jamais connue.

Ce n'est que trois semaines plus tard, que quelqu'un de son entourage s'inquiètera de ne pas avoir de nouvelles. Trois semaines de solitude, même dans la mort. Le texte trouvé sera envoyé à la poubelle, jugé illisible à cause du sang.

 

 

FIN

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