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29 avril 2012 7 29 /04 /avril /2012 15:59

 

 

 

 

L'envie est un vilain défaut, mais si naturel.

 

 

La nuit vient de tomber sur la capitale française, une nuit accompagnée par une pluie qui n'invite guère nos amis parisiens à quitter leur domicile pour aller au spectacle. Pourtant, en cette nuit du 8 mars 1845, c'est le grand soir pour Gervais Balthomy, voilà trois mois qu'il attend ce soir avec impatience. Avec sa petite troupe, il vient de mettre en place - non sans difficulté - une nouvelle adaptation du "Bourgeois gentilhomme", une de ses pièces favorites. Lui qui a voué sa vie au théâtre depuis son plus jeune âge, Il a englouti tout l'argent de son héritage à monter son spectacle dans un obscure théâtre de la ville. A l'heure où les romantiques comme Alexandre Dumas ou Victor Hugo font la pluie et le beau temps, ce jeune comédien est persuadé que le moment est venu pour lui de connaître la consécration comme le plus grand comédien que la France ait connu. Il souhaite se faire connaître en tant que comédien et en tant que metteur en scène, après tout, Molière l'avait bien été.

Vêtu d'un habit rappelant la mode du XVIIe siècle, il porte un lourd manteau noir et va jeter un œil dans la rue voisine pour voir si les spectateurs s'amassent. Il y a bien quelques courageux, quelques curieux et quelques personnes refoulés des grands théâtres qui se trouvent devant l'entrée, mais la pluie a bien eu raison des parisiens. Le patron du théâtre, un homme gros et au regard vicieux, s'avance face au comédien.

  • Alors Gervais ? Cela donne quoi ?

  • Ma foi, monsieur le directeur, il semble qu'il y ait peu de monde pour la première. La pluie empêche les gens de sortir de chez eux.

  • Nous pouvons reculer d'un jour la première, mon cher, si tu veux.

Mais Gervais sait que ce sera une perte d'argent encore plus grave pour le directeur, et il ne peut se le permettre cela. Et ce directeur est la seule personne a lui avoir fait confiance pour monter ce spectacle. Alors, autant aller jusqu'au bout et assurer la représentation.

Sa troupe est inquiète, elle se tient derrière le rideau, et jette, de temps à autre, un regard dans le public. Et il faut dire la vérité, il n'y a pratiquement personne ce soir. Quelle honte, l'un des comédiens, le plus vieux et le plus expérimenté, commence à grommeler que c'est bien la première fois qu'il va faire cela, jouer, interpréter du Molière devant une foule qui ne contient que quelques malheureux venus ici pour éviter la pluie. Mais Gervais veut se montrer optimiste, ils vont peut-être apprécier, et s'ils apprécient, ils vont faire une belle et grande publicité.

Il faut y croire, insiste t-il. Depuis le temps qu'il rêve de ce moment. C'est alors qu'un événement important arrive. Un des comédiens de la troupe de Gervais court vers lui, c'est le plus jeune et le plus enthousiaste. Essoufflé, le petit gars parvient à dire à son patron que un des membres de l'Académie française est là. Gervais ne peut le croire, quelle bonne nouvelle ! Voilà, bien sûr qu'il y a peu de monde ce soir, qu'il y a peu de personnes pour assister au début de cette troupe, mais un homme de l'Académie française peut tout changer. Il n'y a pas de critiques ? Tant pis, mais il y a un responsable de la littérature française, et cela peut tout changer. La troupe se met en place, le spectacle va bientôt commencer.

Mais la représentation n'est pas vraiment un succès. Et la moitié du peu de spectateurs quitte le théâtre au bout d'une heure de représentation. Pour le directeur du théâtre, c'est une véritable catastrophe. Il est fort à parier que cette représentation n'ira pas plus loin qu'une semaine. Par ailleurs, ce brave directeur a la ferme intention de monter une comédie, presque ridicule, mais qui aura plus de chance de gonfler les recettes. Le regard sévère envers Gervais qui continue à jouer, il a fermement l'intention de lui annoncer la nouvelle après. Et dans le public, où reste encore trois irréductibles, l'un d'eux, non seulement baille, mais glisse à son voisin qu'il trouve le jeu de Gervais fort navrant. Ce gamin voulait rendre hommage à Molière et à son théâtre mais en réalité, il a lui craché dessus. C'est du moins le sentiment que le directeur a et qu'il veut partager avec cette troupe. Ces jeunes gens ont de bonnes intentions, mais le résultat est lamentable.

Au début du troisième acte, les comédiens ont compris que cela va devenir un bide des plus retentissant, alors que faire ? Pour Gervais, la face, que dis-je, l'honneur, doit être sauvé, dans une volonté que seuls peuvent comprendre les passionnés, il ordonne de continuer, même s'il ne doit y avoir plus qu'un chat qui regarde la scène. Pour la majorité de la troupe, voilà qui en est trop ! Le premier a ouvrir le tire est le plus vieux, celui qui est censé jouer monsieur Jourdain, monsieur Maurice Levoilier, homme d'un certain âge qui prétend avoir joué devant Napoléon 1er et qui aurait connu le grand acteur Talma.

Il jette sa perruque en plein milieu d'une réplique, et pointe du doigts le pauvre Gervais. Cependant, il faut bien le reconnaître, peu de personnes ont assisté à cette scène, excepté, bien entendu, la troupe et le directeur.

  • Je ne joue pas pour du vent, hurle le vieux, je ne joue pas pour la poussière, cher monsieur, je joue pour le public !

  • Il faut jouer pour l'Art, répond Gervais.

  • L'art, ironise Maurice, ce n'est pas l'art qui paiera mon loyer ni qui paiera la location de cette salle. Regarde ce bon vieux directeur, regarde les yeux de cet homme mêlés de colère et de tristesse. Colère envers toi, Gervais, tristesse envers nous, c'est simple.

Le directeur, qui comptait entrer dans la conversation un peu plus tard, se voit contraint de se lancer dans l'histoire. Les mains dans son pantalon de velours, ayant juste avant refait son nœud de cravate, il marche d'un pas lent vers Gervais. Avec un ton presque paternel, le brave homme lui pose la main sur l'épaule et lui déclare d'une voix basse:

" Mon ami, mon brave ami, je connais ton courage et ta passion pour l'art théâtrale et je sais que tu es prêt à donner ta vie pour lui. Mais là, tu viens de connaître un vibrant échec, cela arrive dans le métier, en ce sens, il vaut mieux que cela t'arrive à ton âge que plus tard. Tu comprends ? Et moi, j'ai un théâtre à tenir, ce n'est pas une grande salle. Par conséquent…"

Un profond sentiment de colère prend le jeune homme, il a la terrible impression que le monde entier l'abandonne. Lui qui pensait que son grand soir allait arriver, voilà que ce jour se transforme assez vite en terrifiant cauchemar. Que peut-il faire d'autre que d'abandonner et d'accepter l'échec ? Il est évident qu'un caractère comme celui de Gervais ne l'accepte pas facilement. Il reste qu'à quitter les lieux, l'air mécontent et l'envie d'en finir avec le monde. Il fait demi-tour sans ajouter un mot, se contente de ramasser ses vêtements, de jeter sa perruque bouclée dans le style Louis XIV et de grommeler des injures tant en essayant quelques larmes. Son monde s'écroule en un instant et il a l'impression que seuls les artistes maudits peuvent le comprendre.

Dehors, tenant fermement ses vêtements, le peu de parisiens peuvent l'apercevoir en train de marcher timidement dans les rues, vêtu comme un valet du Grand Siècle. Déambulant dans une capitale qui vient de connaître une bonne heure de pluie, Gervais arrive au Pont-Neuf face à la statue équestre du roi Henri. Face au grand roi vainqueur de l'adversité, il ne peut que se sentir si petit, un rien du tout dans ce monde. La tête baissée, il continue son chemin en traversant le fameux pont. Le sentiment de perdition s'empare de son âme, il est comme possédé par le besoin d'en finir mais loin de lui cette idée de se jeter du pont, si facile, si classique. S'il faut en finir, autant le faire avec panache et originalité, au moins, il aura réussi cela, en bon artiste voulant une belle sortie. Alors sa première idée est forcément la plus ambitieuse et il ne se démonte pas pour la réaliser. Proche du pont, non loin du théâtre du Châtelet, haut lieu de l'art théâtral et ancien emplacement du quartier général de la police. Dans son total désespoir, il songe à grimper au sommet d'un immeuble et de se jeter à même le sol. Tel la chute d'un acteur qui pensait avoir le meilleur avenir possible, notre pauvre Gervais décide de s'exploser sur le sol pavé de la capitale.

Mais au moment de chercher un immeuble où il pourra accomplir son funeste destin, il croise le restaurant situé à côté du théâtre; le lieu privilégié où les grandes pontes du royaume de la littérature viennent chercher discussion, débats et jolies courtisanes. Et à travers la vitre, il peut apercevoir l'académicien qui dîne avec un ami. Le repas a l'air appétissant et la conversation assez prenante. Comme il aurait aimé faire parti de ce monde, être un homme écouté, respecté pour son art autant que pour son influence sur la vie politique. Mais voilà, cette première ratée vient de lui remettre les idées en place, la vie ne lui permettra d'obtenir cet avenir et seule la mort peut le délivrer. Les larmes aux yeux, il fait demi-tour quand il entend quelqu'un l'interpeller.

  • Ne fais pas de bêtises mon garçon, tu peux encore avoir un grand avenir.

  • Pardon ? demande Gervais.

La voix avait quelque chose de peu chaleureuse, comme si une sorcière venait de s'adresser à lui. La première idée du jeune homme est de continuer son chemin comme s'il n'avait rien entendu, mais voilà que le fantôme le suit. Une espèce d'ombre, une créature de haute taille, entièrement vêtue de noir, portant un chapeau haut de forme et n'ayant que ses yeux qui percent dans la nuit. Pour un peu, Gervais peut croire qu'un bourreau cherche à le kidnapper. Ceci dit, l'idée n'est pas si mauvaise, après tout, pourquoi ne pas finir sous le couperet de la guillotine ? Alors, il arrête sa marche et se tourne vers le personnage bizarre. Voilà que cette ombre l'invite à prendre le chemin d'une petite ruelle.

  • Ton spectacle n'était pas si mauvais, commence à dire l'ombre. Oui, j'étais dans l'assemblée pour voir la première de ta reprise du Bourgeois. Ne fais pas cette tête, ce que tu fais peut intéresser des gens, dont moi.

  • Mais qui êtes-vous ?

L'ombre prend son temps pour répondre, et voilà que de sa main, une petite flamme apparaît. Un magicien ? Un sorcier ? Qui est cet homme ? Car il en est certain maintenant, c'est bien un homme qui se trouve devant lui.

  • Je suis celui qui peut t'apporter la vie, la vraie vie, la seule vie.

Sa voix est si belle, si séduisante, qu'il se met à l'écouter attentivement. La flamme, sortant de sa main, envoie de la lumière qui lèche le visage de l'ombre. Quel visage d'ailleurs ! Quelle figure ! Si Goethe avait voulu que le diable dans "Faust" soit une personne réelle, il aurait imaginé cette figure. Elle semble un compromis malsain entre le visage d'une gargouille et celui d'un monstre sortit tout droit d'un cauchemar. Peut-être celui de Gervais, d'ailleurs.

  • Comment pouvez-vous m'aider monsieur ? demande Gervais d'une voix timide.

  • Je vais te donner la possibilité d'être le personnage que tu veux incarner sur scène et devenir le plus grand, le plus populaire des comédiens à Paris, que dis-je à Paris, dans toute la France !

  • Mais comment ? Comment allez-vous faire ?

Le personnage bizarre se met à jouer avec la boule de feu comme on jouerait avec une simple balle puis, d'un geste violent, il l'a fait disparaître. Après un sourire bien senti, il se met à dire sur un ton amical: "Grâce à la magie, mon ami".

Les deux hommes prennent la direction d'un quartier populaire de la capitale, proche de la rue Saint-Denis. Lieu curieux, c'est ici que la Voisin, empoisonneuse et sorcière, sévissait à l'époque du Roi-Soleil. Ce n'est pas la cour des Miracles si chère à Victor Hugo mais l'ambiance n'est pas portée vers le confort. Au bout de quelques minutes, après avoir croisé des filles de joies, des mendiants et de pauvres travailleurs, ils débouchent vers une petite rue enveloppée par la nuit. Aucune lumière, aucun signe de vie. Gervais se dit que son le fait de n'avoir rien à perdre le pousse à entrer dans ce genre d'endroit qui, il faut bien l'avouer au lecteur, n'aurait jamais eu l'honneur de sa visite en des temps plus heureux. Le magicien allume une nouvelle flamme suffisamment forte pour pouvoir les guider dans cette rue étroite et sentant l'urine séchée. Ils finissent par arriver devant un escalier descendant vers une porte qui ressemble à une porte de prison.

A l'intérieur se trouve une cave, un endroit idéal pour un complot contre le régime au pouvoir. Mais ce qui compose cette pièce, c'est bien les instruments de chimies et de curieux livres. Gervais se trouve en face d'un cabinet de travail d'un alchimiste. L'ombre a l'air d'un personnage savant, inquiétant, mais tout de même savant. Il prend place sur un vieux siège pendant que son hôte semble chercher quelque chose, puis il trouve un coffre et l'ouvre devant Gervais. Ce que le jeune homme voit est spectaculaire, une sphère bleutée, magnifique, brillant comme mille diamants. Comme il se croit dans le bureau d'un alchimiste, il pense voir en face de lui la pierre philosophale.

  • Qu'est-ce que cela ?

  • Ce qui va te sauver la vie, dit l'étrange personnage, il s'agit du seul et unique moyen de s'emparer de l'âme d'un défunt durant un temps donné. Imagine, tu veux jouer Jules César, tu auras l'âme du grand conquérant quand tu seras sur scène, tu veux jouer un homme endetté ? Il y aura forcément une âme correspondant à cela dedans.

  • Et comment ça marche ?

L'ombre esquisse un petit sourire et s'assied en face en lui tendant la mystérieuse sphère. Gervais, étonnement, prend l'objet entre ses deux mains et l'observe avec émerveillement face à cette lumière surnaturelle. Puis, l'ombre commence à parler: " Il faut se concentrer pendant une bonne minute et prononcer très distinctement une formule magique. Klatou, vérata, nektou, puis tu demandes quelle âme tu veux et pendant trois bonnes heures, elle sera pour toi". Gervais comprend tout le pouvoir qu'il peut tirer de cette situation, tout le potentiel qui lui donnerait la possibilité d'être le meilleur comédien. Bref, la porte pour la gloire.

  • Mais pourquoi me proposer cette aide ?

  • Rien est gratuit, c'est vrai, admet l'ombre. Voilà la proposition que je te fais en échange du pouvoir que je t'accorde. Tu gagneras de l'argent, beaucoup d'argent, et en ce sens, ce sera un peu grâce à moi. Je te demande une partie de tes cachets afin de financer mes recherches.

  • C'est tout ?

  • C'est tout.

Trouvant que le marché semble correct, le jeune homme serre la main de l'ombre et accepte de lui verser une certaine somme.

De retour chez lui, dans cette petite chambre de bonne qu'un vieux bourgeois a accepté de lui faire louer, il s'allonge sur son lit en regardant ce boule toujours aussi brillante. Il a hâte de l'essayer et de connaître, ainsi, la gloire.

Quelques jours plus tard, il apprend qu'une salle de théâtre est sur le point de monter la pièce de Shakespeare: "Richard III". L'idée lui vient de participer au choix du comédien pour le rôle principal. Il fonce au théâtre, cachant la boule dans son manteau et fait la queue avant de monter sur scène. Avant d'y aller, il observe les postulants, beaucoup révisent leurs textes, d'autres se mordent les doigts, pris par le traque. En résumé, il est le seul confiant parce qu'une arme secrète et hautement importante se tient dans sa poche. Juste avant de passer, il s'accorde quelques minutes dans une loge afin de se préparer. Il a emprunté l'habit d'un de ses amis qui a joué dans une pièce se déroulant sous la Renaissance. Puis, il sort cette fameuse boule magique, se concentre et déclare les trois mots. Après avoir appelé l'âme de Richard III, un fantôme apparaît, une forme humaine terrifiante et en même temps, obsédante. Cette forme tourne autour de Gervais qui n'en croit pas ses yeux et se demande si l'ombre ne sait pas moquer de lui. En un éclair, le fantôme prend possession du jeune homme.

Quel choc pour lui, il sort de la loge avec le regard d'un illuminé et observe celui qui est en train de passer le test. Devant un tel jeu médiocre, il ne peut que rire et dans son esprit, il a l'impression qu'une autre personne vit, le fantôme de Richard III certainement. Il ne fait plus qu'un avec le personnage, une sensation que personne ne peut décrire. Ses pas traversent la scène et il observe le metteur en scène assis avec deux autres personnes. Jamais il ne s'est senti autant en confiance que ce jour là, il a l'impression d'être le meilleur acteur du monde ! Le metteur en scène, d'un geste de la main, lui demande de commencer à jouer. Et ce que Gervais fait est remarquable ! Il est le roi anglais, le dernier Plantagenêt parce que l'âme de ce défunt monarque est présent en lui.

Il obtient le rôle sans aucune difficulté. Et suite à cet essai, le jeune homme perd l'âme de Richard III qui retourne dans cette mystérieuse boule.

Et c'est le début d'une grande carrière pour notre ami qui enchaîne rôle sur rôle et qui, en quelques mois seulement, devient la nouvelle vedette de tout Paris.

Et à chaque succès, Gervais se voit dans l'obligation de donner une certaine somme d'argent à celui qui lui a permis d'être une vedette reconnu du théâtre. A chaque fin de représentation, voilà que l'ombre suit son "protégé" et lui demande son du. Et Gervais s'exécute sans broncher, trop heureux d'acquérir le statut d'acteur incontournable de Paris.

C'est avec un plaisir non dissimulé que Gervais entre dans le restaurant où la fine fleur de la société littéraire et artistique est là pour le saluer. Des belles femmes aux écrivains de renoms, tout le monde veut serrer la main de notre nouvel héros du théâtre. Alors qu'il se saisit d'une coupe de champagne, voilà qu'il est abordé par un homme élégant à la peau légèrement sombre. Cet homme fait parti de cette nouvelle génération d'écrivain qui fracasse tout sur leur passage, monsieur Alexandre Dumas.

  • Pourrais-je avoir une coupe de champagne de la part du meilleur interprète de Jules César ?

  • Monsieur Dumas…

  • C'est bien mon nom, répond l'écrivain avec le gros rire si caractéristique de ce bon vivant.

Les deux hommes commencent à discuter. Pour Dumas, la vie mondaine est un grand plaisir: la célébrité, la possibilité de peser sur les événements, celui de se faire admirer pour son talent et celui de pouvoir vivre au dessus de ses moyens sans que personne ne vous en fasse le reproche.

  • La belle vie, conclue Dumas tout en finissant son verre et en prenant une belle cuisse de poulet au buffet.

C'est alors qu'un homme marche vers eux, Gervais ne rêve pas, il s'agit bien de l'académicien qui était venu à la première ratée du "Bourgeois gentilhomme". L'homme se montre fort aimable avec le comédien, il lui serre la main et lui propose un cigare. Abandonnant Dumas qui est parti à la conquête d'une jolie femme, les deux hommes déambulent dans le fameux restaurant.

  • Je vous avais terriblement mal jugé, mon garçon, commence à dire l'académicien. Vous êtes un jeune homme rempli de talent et qui a la possibilité de déclamer les répliques comme des gammes de Beethoven.

Belle vengeance que voilà, Gervais se montre de plus en plus satisfait de cette soirée et de lui-même. Si son plus grand rêve est sur le point de se réaliser, alors il pourra affirmer sans honte, que son destin s'est enfin concrétisé. Et qu'importe s'il a triché.

Sans attendre plus longtemps, l'académicien lui annonce qu'il a écrit une pièce de théâtre pour le théâtre des Italiens. Il le veut pour le rôle principal, ce n'est pas un souhait, c'est un ordre. Il jouera devant le roi, devant les académiciens et les plus belles femmes de Paris. Le rêve.

Le soir venu, Gervais retourne à son nouveau domicile quand il croise une affiche annonçant un nouveau spectacle joué par son ancienne équipe toujours dans le même théâtre où il tenta de monter le Bourgeois. Il décide d'y aller le lendemain, en toute discrétion car depuis son succès, il faut bien l'admettre, ses compagnons ont été un peu oublié.

Et lorsque le lendemain, les rideaux s'ouvrent pour voir cette petite troupe qui reprend une pièce de Corneille, il ne peut qu'être ému par la volonté et le courage de ces gens. Mais à la fin de la représentation, c'est bien une autre voie qu'il a choisi et lors de la sortie des artistes, Gervais n'ose aller les aborder, il les voit sortir, heureux d'avoir bien joué, heureux d'avoir été applaudi. Cependant, pris par une grande curiosité, le jeune homme les suit en toute discrétion à travers les ruelles de Paris. Et voilà qu'ils passent à côté d'une affiche annonçant un vieux spectacle où Gervais avait le rôle principal. L'une des comédiennes, la plus jeune se met à cracher sur l'affiche en fustigeant le personnage de Gervais. Celui-ci veut intervenir mais il renonce. Et préfère faire demi-tour.

Lorsqu'il revient dans son appartement proche des Invalides où il trouve le texte de l'académicien. Et voilà que la surprise est grande, on lui confie le rôle d'un grand magicien, d'un grand sorcier. L'idée lui vient immédiatement de tuer ce sorcier, il pourra voler son âme et en plus, il ne devra plus payer cet "impôt". Voilà une bonne idée car l'âme volé n'a pas vraiment de rôle dans les idées du jeune homme, en étant Jules César, il se servait de son âme pour jouer au plus près de lui, mais jamais César n'avait de contrôle sur lui. Alors, pourquoi se gêner ? Par ailleurs, il souhaite se réconcilier avec ses amis, il veut se racheter.

Et pour bien faire, il va le lendemain matin voir l'académicien qui loge dans les beaux quartiers des Champs-Elysées. L'académicien le reçoit avec chaleur et bienveillance. L'appartement est fort beau, lorgnant dans le plus pur style XVIIIe siècle, on dirait que ni la Révolution, ni l'Empire, ni la Restauration ne sont passés par là. Bref, il rencontre la femme de l'académicien, âgée d'une cinquantaine d'années mais d'une grâce et d'une beauté qui font oublié facilement les années passés. Les deux hommes s'entretiennent dans le petit salon et commencent à discuter sur la pièce.

  • J'accepte le rôle, monsieur, commence fièrement Gervais.

  • Bonne décision mon ami, répond l'académicien. Nous allons faire un grand et noble travail. Tu verras.

  • Mais une petite demande à vous faire, en vérité, il s'agit de ma seule condition. Il y a des comédiens qui ont travaillé avec moi quand j'ai commencé, vous vous rappelez ? Lors de la représentation du Bourgeois.

  • Je m'en souviens bien, une faute dans votre parcours, mais tout le monde en a fait des fautes, même moi. Et que souhaitez-vous ?

  • Eh bien, monsieur, j'aimerais que vous preniez le maximum de comédiens pour des rôles, bref ou plus important, c'est mon souhait.

  • C'est votre seule condition ?

  • Oui.

L'académicien semble réfléchir un petit moment puis fait un sourire et annonce à Gervais son accord total. Il ira lui-même les voir. Par contre, s'ils refusent, que doit-il faire ? Cette fois, c'est au tour du jeune homme de réfléchir, puis il annonce qu'il ira lui-même les voir, ce sera mieux et au moins, il sera fixé sur leurs décisions.

Quelques jours plus tard, Gervais entre dans le petit théâtre de ses débuts et retrouve la troupe qui répète. Je dois dire aux lecteurs que son arrivée a été des plus discutés par les comédiens. Surtout la comédienne qui avait craché sur son affiche. Bref, le jeune homme n'était vraiment pas le bienvenue. Mais Gervais ne se laisse pas démonté, il veut offrir à ses anciens amis la possibilité de jouer dans un grand théâtre et avec le maximum de gens importants dans la salle, c'est la moindre des choses.

  • Tu n'as pas honte ! hurle une des comédiennes.

  • Je viens pour vous aider…

Il se fait immédiatement interrompre par ses anciens amis. Il n'a aucune chance de les convaincre de se joindre à lui pour le prochain spectacle. Le jeune homme fait demi-tour avec une rage, celle de voir que sa prise de conscience n'a eu aucun effet sur les autres. Dans les rues de Paris, les mains dans les poches, il repense à son plan, celui de tuer l'ombre pour pouvoir jouer son rôle dans la pièce de l'académicien. Ce sera son plus grand des succès !

Parvenu au laboratoire du sorcier, il trouve l'étrange personnage qui est en train de tester une nouvelle potion. L'homme est silencieux, très concentré sur son travail, il fait à peine attention à l'arrivée de Gervais.

  • Bonjour Gervais, il y a un problème ?

  • Non, enfin… Je viens vous rendre visite pour voir si vos recherches avancent.

  • Cela avance, grâce à l'argent que vous me donnez, j'ai pu acquérir quelques éléments pour continuer mes recherches.

  • Et quels sont les buts de vos recherches ?

L'ombre attend quelques secondes avant de répondre, puis il se met à parler de sa passion pour la Mort et le fait de savoir précisément ce qu'il se passe quand le dernier souffle de vie passe. Pendant que l'ombre parle, il continue à pratiquer ses expériences, semblant ne pas faire attention à son invité. Mais Gervais ne se laisse pas intimider par son idée, il se saisit d'un pied de biche qui traîne et frappe l'ombre sur la tête. Le vieil homme au visage de gargouille se met à rire et plus Gervais frappe plus l'homme rit. Cette attitude rend Gervais fort nerveux et sa colère devient vraiment sans limite. L'ombre perd sa vie par un dernier rire. Après ce meurtre assez violent, le jeune homme cache le corps dans un coin de la pièce, et tente de nettoyer le sang. Il décide d'attendre la fin de la journée pour rentrer chez lui car son habit porte quelques traces de sang.

Il est sûr de lui, il croit dur comme fer que ce sera la grande représentation de sa vie. Tout Paris est là pour la première de la pièce. Et dans sa loge, Gervais s'apprête à appeler l'âme de l'ombre, il pourra jouer le personnage du sorcier sans aucun problème. Après avoir prononcé les trois mots magiques, la boule se met à briller bizarrement et voilà qu'une fumée entre en possession de l'acteur, il sent la présence de l'ombre, tout fonctionne comme prévu. Mais quand il se regarde devant la glace, voilà que l'ombre est là, à sa place.

  • Tu croyais t'en sortir comme ça, vilain petit personnage ? dit l'ombre.

  • Comment… Comment ? dit le jeune homme complètement éberlué.

  • Viens, mon jeune ami, mon esprit et ma volonté vont te donner la fin que tu mérites, celle des grands comédiens, celle de Molière.

Le corps de Gervais est totalement possédé, jamais il n'avait ressenti cela, cette fois, il comprend qu'il ne peut rien contrôler, il est perdu. Le sorcier l'empêche de hurler et le force à prendre le couteau qui sert au costume de sorcier. Gervais résiste, mais rien y fait… Il est perdu.

Le rideau est sur le point de s'ouvrir, le public est là. Même l'ancienne troupe de Gervais. Ils sont venus pour s'excuser, pensant qu'il était pris de remords, ils ont décidé de lui donner une nouvelle chance et ils iront le voir après la représentation. Tout est prêt mais le metteur en scène est inquiet, Gervais est encore dans sa loge. Il doit apparaître dans la scène 4, mais tout de même, c'est inquiétant, est-il malade ?

Dans la loge, c'est la lutte entre la volonté du sorcier et celui de Gervais. Le comédien semble résister mais la fatigue le grignote progressivement.

La pièce commence, tout le monde attend l'arrivée du sorcier, l'arrivée de ce grand comédien. Et au moment où la scène 3 débute, voilà que Gervais sort de sa loge, il semble luter contre lui-même, une force le pousse à se poignarder mais il refuse. L'âme du sorcier le pousse vers la scène et lorsqu'il apparaît, toute la salle retient son souffle car son apparition n'était pas prévue. Tout le monde se regarde, se demandant ce qu'il se passe, puis, d'un geste violent et sec, il se poignarde dans le cœur. Les comédiens, la salle, tout le monde hurle ! Qu'est-ce que cela signifie ? Est-ce une blague ? L'académicien tremble de colère au milieu de ses collègues et invités. Un comédien s'approche de Gervais, baignant dans son sang et lui murmure à l'oreille: "Surtout, ne m'oubliez pas".

C'était fini pour lui.

 

 

 

FIN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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